Il y a chez le chasseur d’orages une structure orageuse très convoitée. Faire face à l’une d’elle est un peu le graal, puisque c’est ce type d’orage qui, chaque fin de Printemps, sévit en grand nombre dans les Grandes Plaines Américaines, pouvant donner naissances à des tornades. On l’appelle, la supercellule.
Cet orage a deux grandes particularités. La première, c’est d’avoir un courant ascendant particulièrement puissant et un courant descendant avant éloigné de celui-ci. Cela permet d’avoir une cellule orageuse particulièrement massive, beaucoup plus durable (le courant descendant ne vient pas gêner l’alimentation de l’orage) et la possibilité de générer des grêlons de grosse taille grâce à ces très forts courants en mesure de « garder » la grêle plus longtemps, qui va grossir au gré de sa chute puis de sa réaspiration par le courant ascendant, ainsi de suite, jusqu’à ce qu’elle chute. La deuxième caractéristique, celle qui intéresse particulièrement, c’est que le courant ascendant est en rotation – rendu possible grâce à des cisaillements de vents, c’est à dire des vents qui changent de vitesse et de direction avec l’altitude – c’est ce qu’on appelle le mésocyclone. C’est sous celui-ci, lorsqu’une base surbaissée se forme (nuage-mur) qu’une tornade peut se former.
Bref, fin de la parenthèse scientifique. Si cette structure se rencontre fréquemment pendant les grandes dégradations américaines, elle reste rare en France, avec une à plusieurs dizaines d’occurrences chaque année sur l’hexagone, essentiellement lors des plus grosses offensives orageuses. Pour autant, la grande majorité des chasseurs d’orages ont déjà eu la chance d’en observer. Oui mais voilà, dans ma région qu’est la Bretagne, déjà très défavorisée en terme d’orages, les supercellules sont aux abonnées absentes. En quasiment 8 ans, je n’en ai pas vu une seule, alors que n’importe où ailleurs, ça aurait sans doute été différent. A mes 18 ans, une fois le permis en poche, j’avais bon espoir de pouvoir enfin partir à la conquête des supercellules, dans des terres qui leur sont plus favorables. C’était sans compter une saison 2018 catastrophique, la pire depuis que j’observe les orages, un comble puisque jamais je n’ai été aussi mobile pour les observer… En 2019, c’était donc THE objectif : pouvoir approcher une supercellule…
Mardi 4 Juin. Après un Printemps assez mou niveau orages, voilà que deux jours d’activité orageuse intenses s’annoncent sur le Nord du pays.
Un talweg (creux dépressionnaire) glisse sur l’Atlantique tandis que de l’air chaud stagne sur l’Europe Centrale. C’est le genre de contexte typique pour que des orages bien organisés puissent se former, profitant d’une dynamique favorable.
Keraunos, l’Observatoire Français des Orages et des Tornades, émet un niveau de risque 3/4, c’est à dire un risque d’orages violents sur le Nord du Pays. Ma première target est l’Oise, un secteur qui apparaît relativement favorable, et surtout, l’endroit où je vais récupérer Gwenaël Milcareck, un chasseur d’orages local avec qui j’échange depuis très longtemps et qui s’est notamment illustré par ses travaux de recensement des tornades.
Parti vers 9h de Dinan, dans une relative fraicheur, je dois traverser un front froid assez actif entre Caen et Rouen. La pluie est forte, le thermomètre peine à grimper à 15°C… Un vrai temps d’automne. Arrivé vers Rouen, je sors de la pluie, le ciel est gris. Il se dégage progressivement dans l’Eure. Une fois à Beauvais, dans l’Oise, le thermomètre affiche 25°C, et, une fois sorti de ma voiture pour manger chez Burger-King (si BK pouvait devenir mon sponsor de chasse…!!), le ressenti n’a plus rien à voir avec la météo Normande. L’humidité, notamment, est très pesante. Pourquoi je détaille à ce point mon trajet ? Car c’est très instructif pour la suite. Arriver de 400km plus à l’ouest m’aura permis de voir que l’air froid guette : il ne faudra pas viser trop à l’ouest, le front avance, et vite ! Et, d’un autre côté, c’est rassurant : le contraste de température est fort, signe d’un fort conflit de masse d’air ! La carte de température relevée en début d’après-midi l’atteste :
Je récupère ma chambre d’hôtel, puis récupère mon co-équipier du jour, avec un grand enthousiasme. Déjà parce que ça fait tellement longtemps qu’on se connait sans jamais s’être vu, et puis, parce que ça augmente quand même significativement les chances de réussite et les conditions de sécurité d’avoir un « co-pilote/analyste radar » sur ce genre de situation. La dynamique est très favorable aux supercellules, et je ne cache pas à Gwenaël que c’est mon leitmotiv du jour !
Le ciel est moyennement parlant dans l’Oise. Le ressenti est bon, très chaud, humide, cela dit. C’est aussi ici que l’instabilité est la plus forte. Cependant, sachant que le front froid progresse rapidement, j’ai peur que les orages qui s’initient soient trop près du bord d’attaque et donc soient particulièrement pluvieux (façon « bretonne »). Comme je ne suis pas venu ici pour chasser de l’orage breton, et que mon coéquipier est du même avis, on prend la direction de l’Aisne, vers Soissons. En fin d’après-midi, la situation prend brutalement sur le Nord de l’Oise, avec des orages très électriques. Là, le doute commence à s’installer, car ils sont clairement hors de portée et c’est pour l’instant tout ce qu’il y a d’intéressant en France. Mais on n’en démord pas. Et on aura raison car, enfin, vers 18 heures, de gros orages s’initient sur l’Est de la région Parisienne, alors que les orages qui ont touché l’Oise et le Nord-Pas-de-Calais, ne vendent pas forcément du rêve au radar. Une cellule, la plus au sud, retient notre attention. Elle touche la Seine-et-Marne. Elle est massive, et sa signature radar fait clairement penser à une supercellule.
Décision est prise de faire route vers la Marne pour l’intercepter. Gwenaël m’avait parlé d’un spot sympa dans ce secteur, il semble bien placé, alors on décide de s’y rendre. Sur la route, concentré sur la conduite et gêné par la végétation sur le Sud, je n’ai aucune visibilité sur l’orage. Gwenaël, lui, est confiant, la cellule a l’air de tenir bon. Il y a 30 minutes de route, une durée suffisamment longue pour être fatale à un orage français. Mais pas si c’est une supercellule…
Juste avant 19h, le ciel est très sombre, quelque chose de gros arrive, c’est clair, mais toujours impossible de voir quoi que ce soit. Et là, au moment où je bifurque pour monter sur le spot… Ouah ! Je fais enfin face à l’orage. Il est massif, avec un très bel arcus, une belle teinte verdâtre qui s’échappe de sa base, et surtout, un appendice qui ressemble franchement à un mésocyclone ! Le caractère supercellulaire ne fait plus aucun doute.
Notre placement n’est pas idéal puisqu’on est assez loin du mésocyclone. Celui-ci se résorbe au bout de quelques minutes. La structure est de toute beauté, c’est le pied ! Le spectacle est magnifique, la stratégie d’approche a payé, on est sans hésiter sur la meilleure cellule de toute la situation, bref l’extase !
Cependant, nous sommes vite rappelés à la réalité : Gwenaël me fait part d’un report de grêlons de 5cm en Seine-et-Marne sous cette cellule, ce qui n’a rien d’étonnant au vu de la densité du rideau de précipitation. Celui-ci se fait précéder d’un rideau de poussière assez conséquent, qui atteste de la présences de très fortes rafales de vent. L’orage est encore à quelques kilomètres, mais il faut plier bagage !
On prend la direction du Nord-Est. Je ne peux pas prendre d’images car je suis au volant, mais l’orage s’approche, avec une teinte verte extrêmement spectaculaire, et un mésocyclone qui semble se reformer. Il faut se dépêcher pour éviter de se faire manger par l’orage. Cependant, au vu des nuages de poussières qui traversent la route, et des fortes rafales latérales que je commence à sentir, le front de rafale est tout près ! Et puis, finalement, on se fait malgré tout avaler par l’orage, en bord heureusement. Le vent se calme, mais la pluie est très forte, je ne vois pas plus loin que le capot. Je continue malgré tout, bien qu’à vitesse très réduite, pour éviter le plus gros.
Cette échappée nous aura mené dans les Ardennes. L’orage semble faiblir, l’arcus a disparu et les bases deviennent plus stratiformes. On trouve une petite bute qui nous permet d’observer les derniers coups de foudre.
Jusque là, c’était parfait ! Mais il faut bien que la nature joue un peu avec nous… Alors que je cadre les derniers coups de foudres lointains sur l’horizon, un énorme extra-nuageux vient frapper à un kilomètre de ma position. Il est bien évidemment hors cadre, et de peu. C’est extrêmement rageant, car ça aurait été le clou du spectacle, et ça aurait fait une image magnifique…
Mais je suis obligé de me montrer ravi à la fin de cette chasse : ce que j’attendais depuis 7 saisons est enfin arrivé ! Cette chasse très réussie, dans une ambiance à la fois rigoureuse et conviviale avec Gwenaël aura été une réussite. Gageons qu’elle soit la première d’une longue série, pourquoi pas outre-atlantique ? Cela faisait 2 saisons que je n’avais pas observé un orage un minimum correct en terme de structure, cette chasse exceptionnelle met fin à une très longue disette… Bref, une vraie réussite. Retour à minuit à l’hôtel, ma voiture noire est recouverte de poussière. Une chasse à l’américaine, tant par la méthode d’approche que par la beauté du spectacle.
Le lendemain matin, Mercredi 5 Juin, le réveil sur Chantilly sera pluvieux et frais. Le même scénario que la veille semble se répéter. Je pars sous la pluie, le thermomètre affiche 13°C sur les routes tristes de la Seine-et-Marne. Je fais route vers la Meurthe-et-Moselle, et l’enthousiasme est le même que la veille, lorsque le thermomètre grimpe en flèche, dans une ambiance toujours plus moite. Le contraste thermique est encore plus marqué que la veille !
La target aura encore une fois été relativement bonne, mais le secteur de chasse m’a fait cruellement défaut. La maigre capture du jour sera cet impact relativement proche, mais très bref et dont je ne capterai que la décroissance en chapelet au Nord de Commercy dans la Meuse.
Les orages fileront très vite vers le Nord-Est, rendant toute poursuite impossible, et rien ne semble se profiler derrière. L’occasion de profiter d’un bon Mc Do à Bar-Le-Duc, pour changer après deux Burger King en deux jours…
Pour les jours suivants, la France basculera cette fois-ci totalement dans l’air froid, et le trajet retour vers la Bretagne fut largement digne d’un mois d’octobre ! Au total, près de 2000km parcourus en 3 jours, pour, sommes toute quelques dizaines de minutes intenses sous une supercellule. Mais le contrat initial est rempli, j’ai approché un monstre comme je ne suis pas prêt d’en observer en Bretagne ! Une chasse à l’américaine, tant par les distances avalées, les burgers avalés, les nuits à l’hôtel, et le mode de chasse choisi.
La saison ne faisait que commencer, et j’avais hâte de remettre ça par la suite (SPOILER : ce sera la première et dernière chasse de grande envergure de la saison!…)