Imaginez une journée de chasse où vous enchaînez, à quelques heures d’intervalles, l’observation de plusieurs phénomènes tourbillonnaires, puis une orgie de foudre nocturne depuis un point haut. Pris séparément, chacun de ces éléments représente le graal d’une chasse à l’orage. Il faudrait se réveiller un après-midi de mai dans les grandes plaines américaines, puis, se téléporter dans le temps et l’espace, destination, n’importe quelle région montagneuse en été, afin de pouvoir en si peu de temps remplir de la sorte son tableau de chasse. Mais, il existe une région en Europe qui vous autorise l’insolence de réaliser quasi simultanément ce genre de hold-up : la MEDITERRANEE !!!

Nous sommes le samedi 2 octobre, fraîchement arrivé en Auvergne, la saison 2021 est pour moi terminée. Les petites prolongations sympathiques de début septembre auxquelles j’ai pu assister dans la région étaient en soi déjà un bonus. Trop habitué à entrer en hibernation des orages dès la fin août, je ne surveille même plus les modèles météo de façon régulière. Désormais, les orages s’effacent de mes préoccupations, comme chaque année, jusqu’au milieu du printemps suivant.

C’est donc tout à fait par hasard, sur les réseaux sociaux des amis, que je prend connaissance d’un sérieux risque de trombes marines dans le Golfe de Gênes en Italie pour la nuit et la matinée du lendemain. Ayant gardé un goût amer face aux magnifiques situations que j’ai pu y louper en septembre 2020, j’avoue que j’ai espéré, une bonne partie du mois de septembre, de pouvoir avoir l’opportunité d’y aller. Mais le Golfe de Gênes n’a pas été aussi agité que 2020, qui a été une saison exceptionnelle. Bref, je prend connaissance en 4ème vitesse des modèles météo, ça a l’air intéressant. Après avoir consulté des amis chasseurs d’orages bien plus connaisseurs des trombes Italiennes, le son de cloche est unanime, c’est très intéressant. Sauf qu’il va falloir avaler 1500km aller/retour, et que ça coûte cher ! Argent qui, contrairement aux trombes, ne tombe pas du ciel. Se lance un dilemme qu’il va vite falloir trancher. Nous sommes en début d’après-midi, je peux être à Gênes en soirée, mais il faudrait partir approximativement MAINTENANT ! Un coup d’oeil dans mon coffre déjà occupé par mon matériel photo (j’avais prévu le matin de partir me balader en Auvergne une fois mes occupations matinales terminées), et la balance commence à pencher d’un côté. C’est un SMS qui va la faire basculer définitivement. Des chasseurs d’orages lyonnais sont au courant que j’hésite à partir, et étaient dans la même réflexion que moi. Qu’à cela ne tienne, faisons chasse commune !

Nous arrivons à Gènes en soirée, pile pour la formation des premières averses en mer. Sur place, le gratin des chasseurs d’orages est là. Nous croisons notamment Dean Gill, véritable légende de la chasse à la tornade, dont ce sont probablement ses images qui ont rendu Gênes si populaire chez les chasseurs francophones.

Le ciel au dessus de Gênes, illuminé par la pollution lumineuse, est déjà assez parlant. Les rideaux de pluie, précédés de plafonds nuageux alléchants, s’enchaînent maintenant devant nos yeux, et nous guettons la moindre trombe. Sauf que, trois heures plus tard, elle n’est toujours pas arrivée, et la pluie nous mange à notre tour. On décide de faire un petit somme bien mérité. Au petit matin, j’aperçois pour la première fois l’aube au dessus de la côte Italienne. Les lumières sont magnifiques.

Et puis soudain, on repère une première trombe. Elle est loin, mais elle est massive !

Puis, un gros tuba, qui se révélera être une trombe au vu des images d’autres chasseurs placés plus en hauteur, qui révèlent un buisson sous le tuba.

Une nouvelle attente commence, on a déjà le sentiment d’avoir rentabilisé le trajet : on ne rentrera pas bredouille. Pourtant, nous n’avons aucune idée de ce qui nous attend !

Une troisième trombe fait son apparition, tout au loin à l’horizon. Celle-ci, presque entièrement condensée, est beaucoup plus durable, avec un buisson bien visible. Allez, la même en plus proche, s’il vous plaît !

Dans le même temps, nous repérons une rotation indéniable plus proche de nous. Et puis, quelques minutes plus tard, la rotation est au dessus du port de Gènes. Tout va ensuite très vite. Un début de tuba, qui se prolonge d’un coup, et puis, le nuage de débris.

La trombe frappe ensuite les terres où elle persiste quelques instants et provoque quelques dégâts. Voilà, j’ai officiellement observé ma première tornade.

Nouvelle attente, la convergence persiste encore et toujours en mer, avec un défilé d’averses nous frôlant depuis maintenant près de 12 heures. Notre placement est idéal, sur notre position, seulement une vingtaine de millimètres de pluie depuis la veille, alors que le port de Gênes en totalise plus de 170.

Peu avant midi, l’alimentation en mer commence à s’essouffler, tandis que nos estomac, eux, commencent sérieusement à gronder. L’occasion de s’attabler dans une bonne pizzeria où nous retrouvons tous les chasseurs francophones rencontrés depuis la veille. L’enthousiasme est là, il cache la fatigue accumulée ces dernières heures. Finir mon baptême de trombe sur ce moment de partage et d’échange restera un super souvenir.

FIN


Fin ? Non, pas du tout. Si vous avez bien lu l’intro qui vous spoile approximativement l’ensemble du récit de chasse, il nous reste encore des choses à accomplir.

La ligne pluvio-orageuse qui sévit déjà depuis la mi-journée sur les Cévennes est supposé prendre de l’ampleur en fin de journée et se décaler vers l’Est. L’idée était de rentrer sur Lyon par la vallée du Rhône pour croiser ces orages. Même si j’étais un peu sceptique par rapport à leur dominante essentiellement pluvieuse, en tout cas pendant l’après-midi, on avait rien à perdre.

Étant celui qui tient le volant, je suis par la force des choses le commandant de bord dans le cockpit qui, fatigué par la courte nuit précédente, se heurte à des hésitations quant au placement du soir au moment de passer la frontière française en milieu d’après-midi. Si le Gard apparaît être un très bon placement pour la fin de journée, je met le holà, préoccupé par le temps de route qu’il nous reste avant d’arriver dans le secteur. Nous ne sommes pas en avance, alors on se décide à viser plus à l’Est, nous permettant de gagner mathématiquement beaucoup de temps sur la progression de la ligne. Nous viserons donc l’Etang de Berre dans les Bouches du Rhône.

Arrivé sur place, la ligne avance lentement. Très lentement même. Permettant d’arriver à une conclusion pas évidente quelques heures plus tôt : on aurait largement eu le temps d’arriver dans le Gard, où un mur de foudre est en train de s’abattre. Pourvu que la ligne tienne jusqu’à nous ! C’est la tombée de la nuit qui va me rassurer : les premières foudre apparaissent au loin à l’horizon, elles sont régulières, nombreuses. Pas de doute, il y a une activité électrique intense et visible à l’avant, maintenant, c’est juste une question de temps.

Mais la naissance d’averses parasites au dessus de Marseille vont faire germer une nouvelle hésitation : et si elles venaient se greffer à l’avant du système et pourrissaient totalement notre visibilité. Elles finiront heureusement par se décaler vers l’Est, nous ouvrant la dernière visibilité. Ca y est, la foudre commence à tomber sur l’étang.

Et là, je me tais, je vous laisse juste admirer la déferlante de foudre !

La trainée blanche sur la photo précédente, c’est celle d’un avion de ligne en courte finale de la piste de l’aéroport de Marignane. Nul doute que les pilotes ont du voir la foudre de très près ! Au vu de la récurrence de la foudre à l’avant de la ligne orageuse, je m’attendais même à voir cet avion se faire foudroyer.

La foudre tombe encore, les images esthétiques s’enchaînent, je réalise là les meileures captures de foudre nocturne de ma carrière. Tout est parfait, le paysage, les points d’impacts visibles, des triples, quadruples impacts bien ramifiés…

Et puis, soudain, perchés à flanc de falaise exposé, à plusieurs dizaines de mètres de la voiture, un fort mal de tête se fait subitement sentir. C’est la première fois que ça m’arrive, mais nombreux sont les collègues chasseurs et notamment les plus téméraires qui ont pu expérimenter ce phénomène avant la survenue d’un impact très proche. J’en fais alors part à mon partenaire de chasse. Qui s’en étonne, avant de subitement ressentir le même symptôme quelques secondes plus tard. Oups. Il est temps de se replier. D’autant que, depuis quelques minutes, l’orage ne manifeste plus aucun impact. Et que j’ai un peu trop l’habitude de ces longs moments à se demander où va taper le prochain, avant qu’il ne tombe beaucoup trop proche. Bref, on se sent sincèrement en danger et on décide de se replier.

En fait, il n’en sera rien, et c’est peut-être la seule ombre au tableau de cette longue chasse exceptionnelle. Le spot ne convenant plus au risque de foudroiement (spot exposé sans possibilité de shooter depuis le véhicule) + l’arrivée de groupes de jeunes fêtards agités et manifestement inconscient du danger, ainsi que des premières gouttes de pluie, nous décidons de descendre, direction la station service pour faire le plein en vue du retour, avec l’espoir de trouver un spot un peu plus bas. L’obscurité et les glissières de sécurité nous font défaut, et nous passons bêtement à côté d’un spot qui aurait été idéal pour la suite… Pendant le plein de carburant au bord de l’étang, ce sera un pilonnage d’impact très proches. L’image réalisé par un collègue placé un peu plus loin le long de la falaise aura de quoi nous dégoûter, on est passé à côté des photos de foudre de notre vie. Le claquement des impacts proche est absolument mémorable, dommage qu’ils n’aient pas été immortalisés. Mais, n’oublions pas que cette soirée est en soit un bonus d’une chasse à la trombe marine très réussie.

Ce n’est que de retour « à la maison », après avoir enfin pu profiter d’une nuit de sommeil dans le confort d’un lit, que j’ai réalisé l’intensité de ce que je venais de vivre, la consécration de près de 10 ans à rêver de voir au cours d’une chasse ne serait-ce que la moitié de ce que j’ai pu voir pendant les 24 heures précédentes.

L’apothéose d’une saison 2021 qui représente un vrai tournant dans l’activité orageuse française, avec le retour des supercellules abouties, d’orages foudroyant généreusement en air sec, tout ce qu’on aime pour des instants de contemplation très forts et des images marquantes. Si les saisons précédentes étaient celles des superlatifs négatifs « la pire saison » dans la bouche des collègues, nombre de chasseurs expérimentés ont vu 2021 leur offrir une expérience jusque là jamais vécue notamment en terme d’intensité et de fréquence de foudroiement.

Pour moi aussi, c’est un tournant, parce que, jeunesse oblige, c’est la première fois que je peux observer de façon confortable et récurrente de tels orages, la dernière saison prolifique à ce genre de chasse étant 2014, et que j’avais à l’époque tout juste l’âge de pouvoir conduire un cyclomoteur, pas vraiment adapté pour rejoindre ces terres de chasse depuis la Bretagne !

Et justement, le vrai tournant de cette saison 2021, c’est l’adoption définitive de ces terres comme quartier général où je suis établi depuis le mois de septembre, permettant d’y envisager bien plus de chasse en 2022, à moindre frais et à moindre fatigue. Une hibernation bien méritée commence, le temps de se préparer pleinement pour cette nouvelle aventure…


Toutes les images présentées dans ce récit sont disponibles en tirage d’art. Contactez-moi pour plus d’informations.